dimanche 28 février 2016

Demain tout ira bien


Je venais de signer le bon à tirer de mon livre. Le rédiger ne m’avait pas demandé trop de travail : il s’agissait d’une compilation de mes billets d’humeur. La radio qui m’avait offert un créneau libre tous les matins à huit heures trente avait cru qu’au cours de cette demi-heure, j’allais entrecouper d’airs à la mode d’interviews plus ou moins bidonnées d’auditeurs ou de passants. Funeste erreur. Je profitai de l’occasion pour exprimer, non mes critiques, car en cela je ne me serais pas distingué de la gent médiatique, mais comment j’aimerais que la société fonctionne. Je poussai même le culot jusqu’à détailler les moyens de  parvenir à ce monde idéal selon moi. Et il faut croire que j’avais visé au bon endroit, car si le directeur de la station a commencé par voir d’un très mauvais œil les encouragements que je prodiguais aux rares courageux qui dénonçaient les causes de nos désordres, il a vite compris, à constater le succès grandissant de mes chroniques, que ma popularité rejaillissait sur l’ensemble de sa radio. De deux cent mille à mon arrivée, le nombre de mes auditeurs a vite dépassé le million. J’étais devenu une star de l’audiovisuel. De l’audio seulement, parce que je me refusais à montrer mon visage ingrat à mes concitoyens. Mon « best of », comme on dit, j’ai hésité sur le choix du titre. Mon éditeur pensait à quelque chose de pompeux dans le genre : « pour un monde meilleur ». C’était trop plat, trop prétentieux à mes yeux. Je choisis une accroche plus incisive et, dans quelques jours, on trouverait chez les bons libraires le premier livre d’Armel Bazin : « Et votre république, vous la voulez comment ? »

Je parvins à faire taire les milliers d’idées qui encombraient mon cerveau. Je branchai mon ordinateur sur Youtube pour entendre le Miserere d’Allegri et laissai ma pensée vagabonder. Ma vie n’a pas connu de souci qu’une heure de musique sacrée n’ait effacé. Peu à peu, ma conscience s’évanouit. Un sommeil sans rêve s’était emparé de moi quand le téléphone sonna et résonna dans ma tête.

Armel ?

Une voix inconnue de mes tympans. Je craignais le pire.

Oui, qui est-ce ?

Ici François Hollande. Il faut que tu viennes à l’Elysée toutes affaires cessantes.

Je n’aime guère la familiarité qui règne aujourd’hui. Qui autorisait cet homme, tout président qu’il fût, à me tutoyer ? Mais on sait vivre.

Monsieur le Président, que me vaut cet honneur ?

Un motard sera chez vous dans dix minutes. Venez, l’heure est grave.

Le « tu » n’était plus de mise, voilà qui me convenait. J’avais passé mon temps ces derniers mois à conseiller toutes sortes de gens afin qu’ils se comportent mieux. Voilà qu’on faisait appel à moi. Plusieurs sentiments me poussèrent à répondre par l’affirmative à la demande du chef de l’Etat. Etait-ce vraiment une demande, d’ailleurs ? D’abord, j’étais flatté qu’on me crût capable non seulement de réfléchir, mais d’agir. Et puis, le goût de l’aventure, une curiosité inassouvie qui m’a guidé tout au long de mes cinquante-cinq années de mon passage sur la terre.

J’arrive !

Me suis-je contenté d’opiner. Le temps d’enfiler un pull et un jeans, je suis descendu en bas de mon immeuble où m’attendait un gendarme tout droit venu de Saint-Tropez. Moustache, l’air docile avec les puissants, sévère avec le peuple, un fidèle serviteur de l’Etat. Il m’a salué, main au képi, et m’a indiqué de prendre place derrière lui sur la selle. Si vous n’avez pas encore fait l’expérience de circuler de nuit dans Paris à moto, collé aux fesses d’un gendarme, je vous y encourage bien fort. Grisant. Nous sommes arrivés par la grille du Coq. Mon pilote avait prévenu par radio et les portes se sont ouvertes devant nous comme par magie.

Hollande était debout, un aréopage de conseillers assis dans des fauteuils ; on se serait cru à une veillée funèbre.

Ah ! Armel ! Bienvenue.

Il me serra la main bien fort, me regardant droit dans les yeux. Il devait avoir plusieurs nuits blanches derrière lui. Il me proposa le dernier siège libre, juste en face de son bureau, mais ne s’assit pas. Son agitation exprimait une intense nervosité.

Mon cher ami, la France a besoin de vous.

Voilà une entrée en matière qui ne me plaisait guère. Les autres n’ouvraient pas la bouche. Aucun geste.

L’opinion publique a confiance en vous. Nous comptons sur vous pour redresser la situation.

Encore fallait-il qu’il m’explique ce qui rendait ladite situation si critique. Il n’y manqua pas.

Les services publics sont en grève depuis deux semaines.

Cela, je le savais comme tout le monde. Le bateau prenait eau de toutes parts, personne ne respectait plus les décisions du gouvernement. A se demander s’il y avait encore un.

Mais le plus grave, c’est ce que nous apprenons des services de renseignements. Parlez, Chibrouk.

Ledit Chibrouk, un petit frisé dont la bedaine disait assez le goût pour les plaisirs en tous genres, dit d’une voix fouette :

On vient de nous apprendre que l’Etat-Major des armées prépare un coup d’Etat. Aucun des généraux qui le composent n’est sûr.

Tous ces petits messieurs se faisaient plus minuscules, si c’était possible. Jambes repliées sous eux, mains cachées sur leurs genoux, le regard mal assuré. Ce n’était assurément pas sur eux qu’il fallait compter pour défendre la légalité. Je me taisais, conscient que je m’imposais plus par mon silence qu’en proférant des banalités.

Armel, il faut faire quelque chose !

Le ton de sa voix et son attitude m’inspiraient une intense pitié. Sauver le pouvoir de ces pleutres ? Cela ne me disait rien. Je daignai toutefois m’exprimer :

Et quoi ?

Un des membres de cette assemblée de froussards me susurra :

Faites une déclaration comme quoi vous allez prendre les choses en mains.

Bien dit, Particot, approuva le Président.

Je jetai un regard circulaire, m’attardant sur chacun des conseillers. Pas un parmi eux pour racheter l’autre, pas un avec qui j’avais envie de travailler.

Monsieur le Président, je veux vous parler seul à seul.

Eussé-je proféré une bordée d’injures que le résultat n’aurait pas été plus spectaculaire. Tous, y compris Hollande, se sentirent envahis par une panique indescriptible. Comment moi, simple journaliste, osais-je demander à une académie d’énarques de quitter la pièce ? Ils se regardaient, effarés, et attendaient la décision de leur chef. Contre toute attente, il dit :

C’est bien. Allez m’attendre dans le bureau à côté.

Il avait fait preuve d’une autorité dont je ne l’avais pas cru capable. Ma présence sans doute l’y aidait, mon calme aussi. A contrecœur, ils quittèrent la pièce. J’entendais des murmures mais n’y prêtai pas attention. La porte se referma sur le dernier et, à dessein, je laissai à nouveau le silence s’installer. Il ne put se retenir :

Eh ! Bien, qu’avez-vous à me proposer ?

A mesure qu’il parlait, un semblant d’assurance lui était revenu.

Monsieur le Président, l’heure n’est plus aux déclarations. Personne n’y accorde crédit. Donnez-moi les pleins pouvoirs pour six mois. C’est tout.

Mais je ne peux pas … le parlement…

J’en fais mon affaire.

Il me regarda, incrédule. Il avait l’air si misérable qu’il paraissait disposé à confier les clés du pouvoir au premier imbécile venu.

Monsieur le Président, vous faites appel à moi. Faites-moi confiance.

Je lui parlai d’un ton patelin, protecteur. La situation ne manquait pas de piquant ; j’en savourais chaque seconde. Il s’assit un instant, se prit la tête dans les mains. Je crois bien qu’il pleurait.

En fin de compte, il n’avait pas été bien difficile de se faire confier la conduite du pays. Le premier ministre donna sa démission dans la minute et je pris sa place sans autre forme de procès.

Les choses sérieuses commençaient. On attendait de moi que je choisisse, parmi le personnel politique, une vingtaine de ministres. Je fus l’objet d’innombrables tentatives de séduction. Trois femmes, et non des moindres, me laissèrent entendre qu’elles n’étaient pas insensibles à mes charmes. Un homme aussi. Je restai deux jours à laisser planer le mystère, puis m’exprimai à la radio.

Mes chers compatriotes, dans les heures difficiles que nous traversons, on vient de me confier la tâche de former un gouvernement en vue d’agir pour le bien commun. J’ai décidé qu’il ne comprendrait que cinq noms, pas plus, le mien compris. Un ministre des affaires extérieures, un ministre des affaires extérieures, un ministre des finances et un ministre de l’éducation. Cette équipe restreinte sera mieux à même de diriger le pays. Mes chers compatriotes, avant de choisir celles et ceux qui m’entoureront, je veux faire appel au plus grand nombre de manière à sélectionner les plus capables. Portez-vous candidats à ces fonctions. Je prendrai celles et ceux qui me sembleront le plus à même de réussir.

Ma déclaration, qui avait le mérite de la brièveté, en surprit plus d’un. Les préfectures reçurent dans la journée des formulaires permettant à chaque citoyen qui le souhaitait d’exprimer ses vœux. Au poste des Affaires Extérieures, ce qui n’avait rien d’étonnant, il n’y eut que soixante-douze mille trois cent vingt-sept postulants. Ensuite, venait la Finance qui attira plus de cent mille personnes. Pour l’Intérieur, le nombre monta à cent cinquante mille. Me surprit davantage, en bien, le nombre de mes concitoyens désireux d’assurer la responsabilité de l’Education ; deux cent trente mille cent soixante-quinze formulaires me parvinrent. J’avais briefé une quinzaine de collaborateurs pour effectuer un premier tri. Des instituteurs de maternelle des deux sexes, que j’espérais d’une grande liberté  en face du système. Mes instructions avaient l’avantage de la simplicité : les candidats retenus devaient s’exprimer dans une langue correcte, donner le sentiment qu’ils souhaitaient sincèrement le bien de la nation et surtout s’éloigner des dirigeants précédents. Il me fallait du sang neuf.

En attendant la constitution de mon équipe, le pays continuait à sombrer dans le désordre. Défilés, manifestations, grèves, vociférations. Je décidai pour y mettre un terme d’annoncer une semaine de vacances pour l’ensemble des français. Pendant sept jours, plus rien ne fonctionnerait. Les rares services d’urgence seraient assurés par des volontaires qui bénéficieraient plus tard de congés compensatoires. Il va sans dire que cette décision fut accueillie avec enthousiasme. On connut alors une période de farniente et de somnolence propice à calmer les esprits. Il était clair que le peuple attendait la suite. Moi aussi.

Mes instits s’attelèrent au travail avec un zèle méritoire. Au bout de trois jours, je disposais pour chaque ministère de moins de quinze noms, et pas un parmi ces élus qui ait jamais exercé le moindre pouvoir. Je réunis tous ces précieux aides pour arrêter un choix final. Marie-Lou Symphonie fut l’heureuse bénéficiaire du portefeuille des Finances. Elle avait élevé seule huit enfants et surmonté bien des difficultés matérielles. A cinquante-deux ans, elle montrait un optimisme qui changeait des jérémiades habituelles. Elle savait lire, écrire et compter, cela suffirait à la tâche. Mais par-dessus tout, elle connaissait la vie, la vraie. Pour les Affaires extérieures, j’optai pour un homme. Marc Labrume parlait un anglais acceptable, et dans sa profession de foi, il avait suggéré que l’Etat aide toutes les communes à organiser un festival international, avec échange de jeunes, chaque année. Même s’il paraissait un peu ambitieux de monter trente-six mille rencontres, il y avait quelque chose à tirer de là. Ted Beaulapin s’imposa pour l’Education. Muni d’un simple CAP de tourneur, il avait réussi à devenir agent de maîtrise d’une usine de tréfilerie et avait remporté la coupe du tournoi de pétanque de la région Normandie. J’aimais l’idée de confier la formation des jeunes à quelqu’un qui ne connaissait rien aux grandes écoles ni aux académies universitaires.  Restait l’Intérieur. Ce grand ministère n’avait pas seulement la charge d’assurer la sécurité. Il devait aussi entretenir les routes et les aéroports, assurer le bon fonctionnement des hôpitaux et veiller au développement harmonieux de la vie économique à travers le pays. Jeannine Candie me parut rassembler les qualités requises pour cela. Elle n’avait pas trente-cinq ans et ne manquait pas de ponctuer ses propos de mots vifs, voire orduriers, mais j’appréciai d’emblée son franc-parler et son énergie.

On imagine sans peine les remous provoqués par ces nominations au sein de la classe politique. On me taxa de démagogie, de populisme et bien pire. L’état du pays était pourtant trop délabré pour qu’une opposition sérieuse et organisée ait la moindre chance de m’empêcher de mener à bien mon action. A peine mon ministère constitué, il nous fallut nous présenter à l’Assemblée Nationale et y exposer notre programme. Je pris la parole quelques minutes pour laisser à mes amis la primeur de leurs projets. Tout cela se passait dans une ambiance joyeuse. La majorité des députés, à mon grand étonnement, se montra plutôt favorable et disposée à soutenir une expérience nouvelle. Après tout, nous ne cherchions pas à renverser la République. Juste à la réformer. Comme nous n’avions pas pris le temps de répéter avant d’entrer en scène, le spectacle avait une touche d’improvisation assez fraîche et pour tout dire pleine de gaieté. Ted Beaulapin était resté en jogging et baskets. Les huissiers du Palais Bourbon lui jetaient des regards dédaigneux, mais il en fallait plus pour le troubler. Nous avions pris place au banc du gouvernement, au premier rang, au milieu d’un charivari indescriptible. Marie-Lou avait opté pour un tailleur qui, s’il ne venait pas de la rue saint-Honoré, aurait passé au marché, à Picpus. Marc Labrume avait revêtu une veste à fleurs, très Peace and Love. Son piercing sur le nez complétait le tableau. Jeannine s’était affublée d’une mini-jupe ras la touffe et son pull, trop petit, laissait voir son nombril. J’avais choisi pour moi une cape à, la Sherlock Holmes, sans le chapeau. Ted Beaulapin m’a succédé à la tribune et a fait sensation.

Mesdames, messieurs, vous le savez, les caisses de l’Etat sont vides. Mes collègues et moi, sous la houlette du grand Armel Bazin, sommes pourtant déterminés à entreprendre la remise en route du pays et à retrouver la prospérité. Alors, comme je dirige la plus grande organisation du monde depuis la disparition de l’armée rouge, voilà ce que j’ai décidé : il n’y a pas assez de profs en France mais bien trop de fonctionnaires au ministère et dans les académies. Tous ces braves gens travaillent pour l’Education Nationale et ils ne côtoient pas les enfants. A partir de la rentrée prochaine, toute personne employée par nous ira enseigner au moins trois mois par an.

Un silence religieux tomba sur l’assemblée. Ils se regardaient pour trouver la contenance qu’il fallait. On entendit un cri suraigu :

Mais il est fou !

Des murmures se firent entendre, mais tout cela manquait de conviction. Il semblait évident que les députés, dont beaucoup venaient du corps enseignant, demeuraient sans voix. Mais Ted avait terminé. Le parlement n’avait pas l’habitude de déclarations aussi brèves. Il céda la place à Jeannine. Des propos graveleux se firent entendre et des sifflets. Elle regarda bien devant elle, indifférente aux lazzis et attendit que le silence revînt. Elle prit alors la parole :

Chers amis, dit-elle d’une voix assurée, me voici en charge des affaires intérieures. Il ne m’a pas fallu longtemps pour arrêter les priorités de mon action à ce poste : il s’agit de vivre ensemble le mieux possible. Mon but, c’est de faire en sorte que nous soyons tous heureux. Aussi vais-je commencer en ouvrant un concours à tous nos concitoyens avec l’objectif de choisir celles et ceux qui contribuent le plus à l’harmonie et à la bonne entente. Toutes les préfectures seront chargées des recueillir les témoignages en faveur des personnes les plus altruistes. Les gouvernants qui nous ont précédés se sont employés à détecter les mauvais français. Si vous approuvez ma proposition, nous allons chercher les meilleurs citoyens, ceux qui nous aideront à construire une France fraternelle.

Il y avait une telle conviction dans ses propos, et tant de candeur, que les applaudissements crépitèrent. Quelques-uns, d’abord, puis un brouhaha assourdissant. Les députés, peu habitués à entendre un tel langage, se levèrent pour l’acclamer.

Jeannine Candie se rassit au banc des ministres, contente d’elle. Au bout de plusieurs minutes, le calme revint et Marc Labrume prit la parole :

We will be a model for all the countries around the world.

Pour un grand moment, ce fut un grand moment. De retour à la tribune, je demandai aux représentants du peuple de nous accorder leur confiance. Nous fûmes ainsi confirmés dans nos fonctions par cinq cent soixante-trois voix et deux abstentions. L’insécurité qui régnait au dehors incita sans doute la plupart à nous remettre les clés du pouvoir. Il s’agissait à présent d’agir, et vite.

J’ai gardé autour de moi l’équipe d’instits de maternelle qui m’avait aidé à trouver les ministres.  J’étais content d’eux, autant en profiter. C’étaient en majorité des femmes, certaines appétissantes, pour la plupart âgées de trente-cinq ans, parfois moins. Elles allaient me permettre de redonner au pays un coup de jeune. Au cours de nos réunions de cabinet, chacun prenait la parole et exprimait ses souhaits. Mieux : ses désirs. Il nous fallait prendre à revers les champions de la sinistrose qui nous avaient rebattu les oreilles de leurs tristes litanies. Nous avons organisé, un peu improvisé il faut l’admettre, une surprise-partie dans les jardins de Matignon, à laquelle nous avions invité beaucoup de jeunes, parmi lesquels un guitariste et un saxo. On a ri, on a chanté, et aux dires d’un préposé à la sécurité des lieux, jamais l’endroit n’avait connu pareille fête. Il nous semblait qu’avec le soutien de cette foule adolescente, nous allions parvenir à changer les choses.

Un journaliste s’était glissé au milieu des invités. Il m’apostropha :

-          Et pour le chômage, vous comptez faire quoi ?

A l’évidence, il s’agissait là de la question centrale. Dans mes bulletins à la radio, j’avais émis quelques propositions et les repris alors :

-          Nous allons lancer un appel à tous ceux qui veulent travailler et ouvrir des chantiers.

-          Et vous le financerez comment ?

-          Ils viendront travailler et construire des stades, des piscines, des églises, des synagogues et des mosquées. Nous nous débrouillerons pour leur assurer hébergement et subsistance. La population nous aidera, n’ayez crainte.

L’homme me regarda, dubitatif. J’étais invité à danser par une collaboratrice, un peu éméchée, et mis un terme à notre entretien. J’ai eu alors une pensée soudaine : au cours des années qui avaient précédé, j’avais pris plaisir à imaginer les mesures que devrait prendre un gouvernement neuf ; une fois au pied du mur, une sorte de vertige s’emparait de moi. Je quittai la fête pour m’isoler dans mon nouveau bureau et y concocter une déclaration de politique générale.

Curieusement, moi qui n’avais aucune difficulté à échafauder des systèmes simples pour que mes semblables vivent ensemble, travaillent ensemble et se supportent les uns les autres, les mots ne me venaient pas. Je les trouvais éculés et bien faibles pour être suivis d’action. Jeannine, plus fine que les autres, monta me rejoindre et, doucement, me caressa l’épaule. Ce contact amical, je me refusais à y voir une invitation à des jeux sexuels. Sans doute fis-je bien, car elle me dit d’un ton à la fois doux et décidé :

-          Je sais ce qu’il faut faire.

Et elle me dévoila le plan qu’elle avait préparé. Je ne peux pas croire qu’il avait germé en elle dans les quelques jours qui précédaient.

-          Nous allons, poursuivit-elle, organiser un ensemble de rencontres entre les habitants de ce pays. Tous : jeunes, vieux, hommes, femmes, enfants. Nous allons promouvoir une sorte de parrainage, de sorte que chaque personne ait deux parrains et deux filleuls. Nous appellerons cela les sept minutes d’écoute.

-          Mais comment convaincre nos concitoyens de se réunir, de se parler ?

-          T’inquiète. On va installer partout des points-rencontres pour que chacun trouve deux parrains et deux filleuls. Et puis, par Internet, on va encourager les hommes et les femmes à se retrouver.

Son optimisme me convainquit et nous tentâmes l’expérience. Nous proposions à tout habitant de ce pays de consacrer une demi-heure par jour aux autres : deux fois sept minutes pour parler, deux fois sept pour écouter. Les premiers résultats furent frileux, mais des postes de radio jouèrent le jeu et retransmirent sur les ondes des messages jusqu’aux plus saugrenus. Un chômeur racontait sa vie à une petite fille, celle-ci parlait à un vieillard isolé, les gens s’adressaient les uns aux autres sans se soucier de leur origine ou de leur fortune. Dans tous les milieux, les gens exprimaient de la douleur, de la tristesse, mais aussi des espoirs et une formidable capacité d’écoute.

Bien entendu, de nombreuses voix dénoncèrent ces pratiques. On les accusa de favoriser la pédophilie, la consommation de drogues et d’autres déviances sociales. On trouva bien une dizaine de détournements illicites de ces rencontres citoyennes. Malgré le zèle mis par certains à monter en épingle ces cas litigieux, l’immense majorité des habitants se montre si enthousiaste au bout de quelques semaines qu’il ne fut jamais sérieusement question de remettre en cause les rapprochements quotidiens entre les uns et les autres.

La société bougeait, pas de doute. Et il me semblait que cela allait dans la bonne direction. Des fonctionnaires décidèrent d’aller voir la vraie vie, on ouvrit les centres de décision à des personnes pleines de bon sens, des gens sensés et de terrain. Je me couchais le soir avec des sentiments mêlés, partagé entre la satisfaction de constater que grâce à nous, les français se parlaient et s’écoutaient davantage et le vertige à la pensée de ce qu’il restait à entreprendre.

J’avais choisi pour marraine une femme de quatre-vingt-cinq ans, et elle se réjouissait beaucoup de l’intérêt que je lui portais. Mon parrain, lui, était Ahmed, qui vivait à Trappes et ne faisait pas grand-chose de bon. Lui aussi aimait bien les moments passés ensemble, tantôt sur le Net, parfois au téléphone, mais aussi en tête-à-tête. Il réagissait avec une formidable spontanéité à mes confessions. Bien vite, je ne pouvais pas me passer de ses propos gouailleurs. Combien de fois ais-je pris conscience de la relativité des choses et des personnes en lui exposant ce que je comptais faire. Son rire moqueur me tenait compagnie à la tribune de la Chambre ou quand je rencontrais le Chancelier d’Allemagne, cette vieille baderne, toujours à la recherche d’applaudissements.

Je dois l’avouer : après ces quelques semaines, j’étais plutôt content du travail accompli.

 

C’est alors que je m’éveillai.

mardi 5 janvier 2016

Charles et Christian


Le 22 mars 1968, mon mariage avec Aude de Lasteyrie était célébré par un de ses cousins, Christian de Chergé, alors responsable de la manécanterie de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre. Quelques années plus tard, il entrait à la Trappe puis se trouvait affecté au monastère de Notre-Dame de l’Atlas, à Thibirine, dont il devait par la suite devenir prieur.

J’ai peu connu cet homme que je trouvais impressionnant et, quand il a fait une entrée tragique dans l’actualité avec six autres moines, m’est venue l’idée que le prêtre qui avait reçu nos consentements appartenait à une sorte d’êtres à part. Ses écrits, dans lesquels il affirme ne pas rechercher le martyre mais l’accepter s’il survient, me troublent au plus profond.

Cette mort provoquée par un de ses semblables m’a souvent fait penser à celle de Charles de Foucauld près d’un siècle auparavant. Chez l’un comme chez l’autre, on trouve une forte attirance pour l’Afrique du Nord et ses populations. Tous deux se sont efforcés de mieux comprendre la foi des musulmans au milieu de qui ils vivaient.

Il y a bien sûr des aspects différents dans ces deux destins : Foucauld a connu une jeunesse tumultueuse, puis une conversion soudaine. Rien de tel chez Chergé ; les pages qu’il consacre à sa famille, en particulier à sa mère, témoignent d’une foi toujours présente. Mais l’un comme l’autre ont rencontré tôt l’âme musulmane et manifesté pour la spiritualité de l’Islam une forte sympathie.

Un autre point rapproche ces deux êtres d’exception : la foi. Foucauld en a eu la révélation soudaine à l’église Saint-Augustin et, depuis, s’est efforcé de vivre  en conformité avec l’Evangile bien au-delà de l’usage courant. Sa vie consacrée au Seigneur l’a emmené loin, hors de lui-même. Ce choix absolu ne l’a pas empêché de pratiquer une autre vertu théologale, la charité. Tous les témoins de sa vie recluse à Tamanrasset s’accordent sur ce point : tous les hommes étaient ses frères et il leur apportait le secours de ses pauvres moyens chaque jour et chaque heure. Chergé, lui, avait grandi avec devant les yeux l’exemple d’une mère admirable. On peut croire qu’elle lui a ouvert le chemin de la foi et du service des autres. Comment expliquer sinon l’épisode du musulman, en pleine guerre d’Algérie qu’il faisait dans l’armée française, qui l’a averti d’un piège tendu contre lui par le FLN, geste que ce malheureux Mohammed paiera de sa vie. Il fallait qu’il l’aime bien, ce Christian. A l’instar de Charles de Foucauld, Christian de Chergé s’est mis au service des populations, et avec les autres moines de Notre-Dame de l’Atlas, il soignait, aidait, nourrissait, consolait.

Dans la démarche de l’un comme dans celle de l’autre, on trouve cet oubli de soi, ce souci permanent de venir en aide à ceux qui souffrent.

On peut s’étonner que ce soit à une date récente que l’Eglise ait reconnu la condition de bienheureux à Charles de Foucauld, un peu à contre-courant de la bien-pensance ambiante. Sans doute convient-il de voir là une intervention de la providence divine qui n’a cure des modes.

Christian de Chergé répond par avance à ceux qui le taxeraient d’angélisme et lui reprocheraient de se voiler la face en refusant de voir des aspects brutaux et barbares de l’Islam. Il écrit que pour établir un dialogue, il convient de rechercher ce qui nous  rapproche et fermer les yeux sur les différences. Charles de Foucauld ne risque pas cette critique, car pour lui les musulmans sont soumis à des coutumes d’un autre âge. Il importe à ses yeux de leur faire connaître la vraie foi.

On peut penser que Charles de Foucauld a connu son chemin de Damas, là où la foi de Christian de Chergé n’a guère vacillé. Il est vrai, mais un événement a bouleversé sa vie : le sacrifice de Mohammed. Il considérait avoir une dette envers l’Algérie. Foucauld, lui, a pratiqué la repentance, la vraie, celle qui vous fait changer de vie.

A y regarder de plus près, on a l’impression que Charles de Foucauld s’est fait une image de la religion musulmane limitée à ce qu’il a vu de sa pratique, au Maroc d’abord puis en Algérie. On imagine sans peine comment jugerait le catholicisme un observateur en limitant sa quête à la manière dont un pratiquant de base vit sa foi. C’est superficiel, au mieux une assurance contre la mort. Christian a poussé plus loin ses investigations. On dirait que la fréquentation de musulmans profondément charitables l’a ému et l’a amené à un respect de leurs croyances qu’on ne trouve pas chez Charles.

On peut trouver aux divergences de ces approches des raisons qui tiennent aux époques si dissemblables. A l’époque de Foucauld, les français avaient une opinion plutôt favorable  du colonialisme. Charles de Foucauld n’a jamais cessé d’entretenir des liens avec ses anciens condisciples, les officiers de l’armée française. Son désir de convertir les touaregs est intimement lié à son souci d’implanter l’esprit de notre pays et d’apporter à des hommes pauvres et guère cultivés les secours de notre civilisation. Il est intéressant de noter à cet égard qu’au Maroc, comme en Algérie, régnait alors une situation assez anarchique. On n’avait pas de mal à considérer que la domination d’un pays organisé comme la France ne pouvait qu’apporter du bon. Pour Chergé, l’époque avait changé. Il s’est retrouvé dans un pays dans l’ensemble hostile aux français, avec un gouvernement qui tolérait la présence de moines catholiques dans l’Atlas, mais qui leur avait conseillé de partir et s’est montré ambigu lorsque les sept martyrs ont été enlevés.

Autre point commun entre ces deux hommes : l’amour du prochain. L’un comme l’autre s’est efforcé de guérir, de consoler, d’aimer.

Les rassemble aussi l’acceptation sans condition du dessein de Dieu sur leur vie, le don qu’ils ont fait de cette vie, à laquelle ils étaient l’un comme l’autre attachés. Ils ont trouvé des voies proches après des essais, Foucauld dans l’armée, puis à la Trappe, Chergé comme prêtre à Paris. Ils ont fini l’un et l’autre dans le dénuement et une vie consacrée aux autres, à leurs frères musulmans.

Un autre point les rapproche : ils aimaient écrire, sans doute pour rompre leur isolement. Leurs pages reflètent leur parcours, leurs doutes, leur choix absolu.

Par l’époque dans laquelle ils vivaient, par leurs caractères bien différents aussi, ils ne se confondent pas. Chacun existe dans notre mémoire. Peut-on admirer les deux sans se contredire ? La réponse se trouve dans l’évangile de Saint Jean :

1Que votre coeur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez en moi. 2Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n'était pas, je vous l'aurais dit. Je vais vous préparer une place. 3Et, lorsque je m'en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi.…

dimanche 3 janvier 2016

Quelques facettes du fait religieux

Les sociétés d’hommes ont connu, et connaissent encore, une attirance pour des croyances en des forces mystérieuses ; ces croyances exercent une influence considérable sur nos comportements privés comme sur la vie sociale. Même dans notre Europe déchristianisée, il est difficile d’envisager que nous puissions un jour vivre totalement détachés de la religion. Cela tient à ce qu’elle intervient dans de nombreux domaines de notre pensée, de nos actes et de notre personne.

Une religion vise à expliquer à l’homme d’où il vient, le pourquoi des choses. Le dessein de Dieu sur la création et sur son destin répond à toute question. La notion de miracle permet de remplir les vides La science a bien sûr fait reculer les religions, qui ont défendu et défendent encore un territoire qui se rétrécit de plus en plus. D’où la difficulté dans laquelle se trouvent les religions à mettre en évidence la main de Dieu. Jadis, tout ce qu’on ne comprenait pas relevait de l’action divine. Des petits malins ont découvert que, le plus souvent, il existe des explications rationnelles et matérielles aux phénomènes naturels. L’inconnu recule donc, mais il demeure au fond des fonds des zones floues ou mystérieuses où se réfugient les croyances religieuses. Le christianisme a dû de force admettre des constructions qui ne font pas appel au magique pour satisfaire notre curiosité. L’Islam y viendra sans doute plus tard.

En plus de répondre à nos interrogations sur le monde qui nous entoure, les religions nous apportent aussi un réconfort en nous permettant d’envisager la mort sans crainte. L’immortalité de l’âme et la foi dans une vie éternelle constituent un des fondements essentiels des églises. L’assurance fournie par la religion de la mort comme passage remplit le fidèle d’espoir et autorise la hiérarchie de l’église à lui demander soumission et respect sans faille. La conviction assez naturelle à l’homme qu’il a une âme immatérielle trouve un prolongement facile dans l’espoir que celle-ci, d’essence autre que la matière, lui survivra. Bien qu’il nous soit difficile d’appréhender ce que peut être une existence sans fin, l’espoir d’échapper à la déchéance aide à vivre nombre d’humains. Selon toute vraisemblance, l’assurance d’une survie après la mort joue le rôle de sergent recruteur pour les armées célestes. Le pouvoir des religions – l’opium du peuple – se trouve ainsi renforcé. L’homme trouve non seulement dans la foi la réponse à tous ses questionnements ; il se voit par surcroît pourvu d’une assurance la plus absolue. Et pour reprendre Pascal, qu’importe le prix à payer si l’espérance de gain est infinie ?

Suivant ces endoctrinements qui leur assurent une base solide dans les populations, les religions construisent des systèmes sociaux et moraux qui permettent à leurs ministres d’associer à leur pouvoir spirituel un ensemble d’avantages matériels non négligeables. On voit bien que, selon les époques, en fonction du pouvoir qu’elles exercent sur les esprits, les religions prennent une part plus ou moins importante dans la vie de la cité. Depuis Constantin jusqu’au XIXème siècle, pratiquement toute l’Europe a vécu sous sa férule : écoles, hôpitaux, état-civil, des pans essentiels de la vie des sujets lui étaient soumis. Au cours des temps, des frictions se sont fait jour entre le pouvoir militaire et financier et celui des églises. Les querelles qui ont suivi la Réforme n’ont pas été sans conséquences sur le pouvoir redoutable qu’exerçait Rome sur les esprits. Avant les Lumières et la Révolution, on n’imaginait pas en France de système de pensée, de morale ou de philosophie en dehors de l’Eglise. Si les religions chrétiennes ont vu reculer leur influence, d’abord en raison de l’avancée de la science mais aussi en raison d’une prise de conscience chez beaucoup des ressorts machiavéliques de l’Eglise en tant que structure sociale, beaucoup d’états vivent encore, dans d’autres confessions, dans une situation où la religion sous-tend toute action et éclaire tous les mystères.

Reste, dans le fait religieux, un aspect plus secret et plus difficile à analyser de manière rationnelle. L’homme, qui aime qu’on lui fournisse des explications, qui a peur de la mort et bien souvent accepte le joug d’organisations puissantes et tonitruantes, a aussi besoin d’échapper à sa condition physique ; en témoignent toutes les créations artistiques auxquelles on peine à trouver des justifications matérielles. Les gens terre à terre demandent : à quoi sert la poésie ? Que gagne-t-on à encourager la musique ou la peinture ? Il y a certes des marchés pour les œuvres d’art mais leur ressort final peut difficilement résider dans la recherche du confort ou du luxe. Le spirituel et le mystique sont des domaines où s’exerce notre activité de manière irrationnelle. Les religions aident bien des artistes à trouver l’inspiration ; elles appuient leurs aspirations à un concept qui les dépasse. D’où vient, par exemple, que l’essentiel du chant choral soit de nature sacrée et que dans les musées, une bonne partie des œuvres se réclame de traditions religieuses ? La religion appartient donc sous cet aspect au domaine de l’irrationnel, du sentiment et de l’intuition. On parle d’ailleurs de sensibilité en la matière. Le sentimentalisme est pourtant mal vu des religieux qui n’y voient qu’une adhésion de surface.

Les lignes qui précèdent, j’ai conscience qu’elles reflètent mon époque, mon éducation et mon caractère. Leur premier objectif était de m’amener à examiner où je me situe par rapport à la religion. Je les diffuse pour ouvrir un débat et dois bien avouer qu’après ces efforts d’introspection et d’analyse, je ne suis guère plus avancé.

                                                                              Reugny, le 2 janvier 2016

mardi 17 novembre 2015

13 novembre


Déni

Ce n’est pas vrai, rassure-moi, tu n’es pas morte !
Tu ne peux pas partir d’un seul coup, de la sorte,
Nous étions venus là, au concert, tous les deux,
Tu es encore en vie, je le sais, je le veux,
Malgré le sang qui défigure ton visage,
Malgré tes yeux ouverts, les trous dans ton corsage.
Nous sommes deux, main dans la main, c’est le bonheur,
Non ce n’est pas fini, tu reviens tout à l’heure,
Dans un instant, ce sera  à nouveau la fête,
Sur mon épaule encor, tu poseras la tête.
 

Colère

Ton cœur qui ne bat plus me remplit de fureur
Celui qui t’a tuée, je veux qu’il meure
Je vais prendre un couteau, un fusil, une pierre
Pour l’envoyer au cimetière.
C’est injuste, à la fin, que lui avions-lui fait 
Pour justifier un tel forfait ?
Il ne restera pas impuni, l’inacceptable crime,
Je vengerai ta mort, chère victime.
La haine au fond de moi agit comme un poison.
J’ai perdu la raison.


Marchandage

Je me dis cependant que la vie continue
J’ai les yeux pleins de pleurs, pensant que tu es morte ;
Il se peut que demain mon chagrin s’atténue.
De nos amours, hélas ! On a fermé la porte.
Plus jamais je ne t’entendrai venir vers moi.
Souvent, quand je suis seul, dans le noir, tout est sombre.
J’aimais ton corps, j’aimais tes mains, j’aimais ta voix.
De mes amours, ne restent plus que des décombres.
Tu es morte aujourd’hui, il me faut l’accepter ;
Nous n’irons plus jamais écouter la musique,
Tu es morte, à présent, et moi qui  suis resté,
Je vivrai malgré tout, seul et mélancolique.

 
Dépression

Mais je n’ai qu’une envie : partir pour te rejoindre.
Plus jamais, nous n’aurons ces moments aériens,
Je vis dans le passé, ne vois pas demain poindre
Et je me dis enfin que la vie ne vaut rien.
Non, je n’ai pas de goût pour les joies les plus pures,
Celles qu’hier nous partagions sans nul souci.
En ma tête, sans cesse, enivrant, un murmure :
Il n’est plus temps de vivre, au revoir et merci !
L’époque est au chagrin, aux morts, aux cimetières,
Je n’ai plus qu’à quitter la terre.

 
Réconciliation

Avec les mois, pourtant, le calme est revenu.
Lorsque je pense à toi, il me vient un sourire.
Je rêve des moments où nous nous aimions, nus,
Sur ton lit, lieu chéri de nos tendres délices.
Il me semble parfois que tu es comme moi,
Que même tu pardonnes,
Et il s’en faut de peu que renaisse l’émoi.
Faut-il qu’on s’en étonne ?
 

vendredi 13 novembre 2015

ma participation à un concours de poésies


Le soir, au coin du feu, je pense aux mille choses,
Aux travaux délaissés ; pourtant, je me repose :
Demain, demain encor sera un autre jour
Hein, mon amour ?

Il ne te sert de rien de te mettre en colère
Laisse-moi donc le temps de terminer ma bière
Et si j'allais mourir aujourd'hui, dis pourquoi
M'user les doigts ?

 

Le poète inspiré nous chantait : Liberté !
Et pourtant il craignait sa femme.
Moi qui n'ai peur de rien, je passe tout l'été
A contempler briller sa flamme.

La liberté pour moi, c'est un morceau de pain
Avec un bon pot de rillettes,
C'est avoir un ami qui me donne la main
Avec qui partager la fête.

Je n'ai jamais compris pourquoi, an nom d'un dieu
Il me faut étriper mon frère.
J'ai pris du poids, de l'âge et suis devenu vieux
pourtant, toujours j'espère.

Je sais que je mourrai un jour, seul dans mon coin
Je me sens nostalgique.
La vie m'a épargné ; j'entends là-bas, au loin
Sa légère musique.


J'aime les poèmes
A la crème.
Et au rhum,
ajoute l'homme.

J'aime les poésies,
La fantaisie
Et le drame,
Ajoute la femme.

J'aime les sonnets,
Les sommets
Et les précipices
Ajoute le fils.

J'aime les ballades
En marmelade
Avec du flan
Ajoute l'enfant.


Lorsque les morts se lèveront comme un seul homme,
Quand des amours sera éteint le dernier feu
Dans un vacarme insupportable, affreux,
Quand Adam finira de digérer sa pomme,

Quand, lassé de veiller, Caïn fera un somme,
Quand du ciel aura fui toute trace de bleu,
Et que, chez les vivants, n'y aura plus pour jeu
Que le battement régulier des métronomes,

Lors nous verrons enfin naître le dernier soir,
Nos rêves envolés, oubliés nos espoirs
Et nous nous en irons traîner notre misère
Dans la fange et le sang, la souffrance et le mal.

Rien ne nous servira de pleurer et de geindre
Car c'est Satan, lui seul, qui conduira le bal.


                  Je voudrais du poème.
                  Combien en voulez-vous ?
                  Cela dépend ; c'est cher ?
                  Un prix exorbitant
         Mais on paie en nature :
         un sourire, un mot, un regard,
         Les meilleurs jours une caresse.
         Parfois aussi, mais c'est plus rare,
         On reçoit un autre poème
         Avec du rhum et de la crème
         Et on s'enivre de ses mots.


Un beau matin, Jean se leva,
Rose était là
Avec sa robe d'espagnole
Qu'est-ce qu'on rigole !
Le petit déjeuner servi
Avec envie
Il a dévoré un croissant
En rêvassant.
Et puis, il a dit à sa mère
- Quelle chimère -
Qu'il avait vu un éléphant
Sur le divan
Et qu'il n'irait plus à l'école
Elle était folle !
Mais il ne voulait rien savoir
Sous son bavoir.
Arrête toutes ces bêtises
Mets ta chemise
Si tu veux devenir savant
Il faut avant
Que tu ailles voir ta maîtresse
 

com cordem


La place de la Concorde, la nuit, il n’y a pas mieux pour éblouir les filles, premier pas vers la conquête comme un sait. Les réverbères apportent une lumière magique, dorée, l’obélisque se dresse plus imposant qu’en plein jour, les rares autos éclairent de leurs phares la chaussée, les passants émerveillés s’arrêtent un instant dans l’attente d’on ne sait quel miracle. Le regard est accroché par tout ce qui brille, par terre, en l’air. L’atmosphère, si légère, les senteurs, les bruits des véhicules qui passent au ralenti, tout concourt à endormir la vigilance des passants et à l’emmener dans une contrée lointaine proche du pays du rêve. Au fond, les façades du Crillon et du ministère de la Marine entourent la rue Royale et dans la perspective, on aperçoit les colonnes de l’église de la Madeleine. Je me rappelle être revenu à pied d’un bal avec ma cavalière, car mes moyens ne me permettaient pas de lui offrir un taxi ; nous avions traversé la Seine bras dessus, bras dessous, juste assez amoureux pour conférer à la situation un caractère un peu clandestin. Elle rêvait à la vue de ce spectacle dont rien ne lui échappait. Elle écarquillait les yeux et tournait la tête sans arrêt, sous le charme. J’avais le cœur qui battait plus fort qu’à l’accoutumée et les yeux qui ne la quittaient pas, au risque de l’incommoder. Il en aurait fallu bien davantage dans l’état second où elle se trouvait. L’air était clément, la brise caressante, le ciel dégagé offrait à la lune un décor de théâtre.

Nous n’avions ni passé, ni futur, ni contraintes, ni besoin autre que se trouver sur la place, l’un à côté de l’autre, main dans la main, légers. Les sculptures monumentales qui constellent l’endroit et qui symbolisent les grandes villes de France nous regardaient, j’en suis sûr, avec bienveillance.

 

Elisabeth me murmurait : « Viens, on va remonter les Champs-Elysées » et elle se mit à fredonner une chanson de Joe Dassin alors à la mode. Prémonitoire, elle s’achevait par ces mots : « et on n’a même pas pensé à s’embrasser ». Dieu sait pourtant que c’était là ma principale volonté, mais elle riait, virevoltait et me rendait l’approche délicate. S’appelait-elle Elisabeth, d’ailleurs, je n’en suis plus très sûr ; Henriette, peut-être, car elle venait du Mans si ma mémoire ne me joue pas des tours, mais après tout, qu’importe ! Sur sa suggestion, nous avons marché plus d’une heure en dépit de l’heure avancée. Après le chemin parcouru depuis le bal, et compte tenu de la soirée passée à danser, boire un peu, parler fort pour couvrir le vacarme ambiant, nous avions les jambes lourdes en revenant place de la Concorde. Fourbus et heureux à la fois. L’aube pointait et un devinait le jour proche. La promenade avait achevé de nous épuiser, et malgré la vigueur de ma jeunesse, en arrivant au pied de l’immeuble où elle demeurait, je me sentis saisi d’une irrépressible envie de dormir. Aussi, après avoir pris soin qu’elle ferme derrière elle la porte cochère, je me dirigeai vers mon domicile.

 

 

M’étais-je endormi ? Sans doute. Je me trouvais à nouveau sur la place, lais en plein jour cette fois. La tiédeur de juin avait cédé la place à un froid glacial. Il avait neigé dans la nuit et on apercevait çà et là des traces où le blanc le disputait au noir.  Nul obélisque au centre, nulle statue non plus, juste un espace gigantesque, une vaste plaine noire de monde. Des hommes, des femmes, des enfants se pressaient pour assister à un spectacle au centre de l’esplanade.

-         Comment es-tu venue place Louis XV ? Demanda un jeune garnement à sa voisine, une petite rousse délurée.

-         Eh ! Dis-donc, ça ne s’appelle plus comme ça. C’est la place de la Révolution, maintenant.

Elle portait un fichu bariolé, noué aux coins qui lui servait de sac à main et qui devait recéler quelques secrets, du fard à joues à en croire ses pommettes rubicondes, et peut-être un carnet sur lequel elle notait ses impressions et ses amourettes.

 

Un homme s’était installé, près de la grille des Tuileries, avec un brasero sur lequel il faisait rôtir des châtaignes. Des enfants tournaient autour pour profiter de la chaleur émise par le feu. Il criait de temps à autre dans l’espoir de se faire entendre malgré le brouhaha :

-         Chauds, les marrons, chauds !

Et lorsqu’un client s’approchait pour s’en régaler, il prenait les petites boules brunes avec une pince en bois pour remplir un cornet de papier.

 

Soudain, de la rue de Rivoli, la Garde Nationale fit son apparition, montée sur de splendides alezans et vêtue d’uniformes bariolés et rutilants. A sa suite, une charrette sur laquelle un gros homme, l’air débonnaire, absent comme si rien de cette manifestation ne le concernait, était maintenu par des soldats. Non sans mal, ils parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à l’endroit où, la veille, des employés municipaux avaient érigé un étrange édifice tout en hauteur. La foule grondait de plus en plus fort ; un groupe de jeunes gens, garçons et filles, hirsutes et vêtus de hardes dépenaillées, entonna une chanson au rythme martial et dont la mélodie, assez simple, pouvait se retenir sans peine :

« Monsieur Véto avait promis, monsieur Véto avait promis

« D’être fidèle à son pays, d’être fidèle à son pays.

« Mais il y a manqué, ne faisons plus quartier !

« Dansons la Carmagnole, vive le son, vive le son,

« Dansons la Carmagnole, vive le son du canon.

De proche en proche, les badauds reprenaient le refrain dans une abominable cacophonie, des femmes criaient d’une voix suraigüe, le bruit s’amplifiait, des malins profitaient de l’aubaine pour vendre des crêpes et des verres de vin chaud. Au milieu de toute cette populace, des vide-goussets s’étaient sans aucun doute insinués. Bien qu’on fût en janvier, la température montait rapidement. Les parisiens qui se bousculaient dans l’espoir d’apercevoir l’estrade ne sentaient plus la morsure du froid. Des filles habillées de jupes multicolores et de corsages aux échancrures généreuses, emmenées par de jeunes voyous venus du Faubourg Saint-Antoine ou du Faubourg Saint-Martin, se mirent à danser comme les paroles de la chanson les y invitaient. Le prisonnier gravit les marches qui le menèrent à une plate-forme exigüe. Il avait gardé sa dignité, on l’aurait dit indifférent à tout ce tumulte, si bien que les militaires qui l’accompagnaient lui témoignaient un respect probablement involontaire. Un civil, mieux mis que les autres et la tête coiffée d’un absurde bicorne orné d’une cocarde tricolore, commença à lire à voix haute une déclaration, mais les hurlements, aux alentours, devenaient si forts que seuls les premiers rangs parvinrent à identifier quelques mots. Il levait haut la tête, semblait imbu de son pouvoir. Il replia le papier où devait se trouver inscrit le texte de sa harangue, recula pour laisser la place à un prêtre. Ce dernier n’avait pas l’air d’apprécier son rôle. Il s’approcha du gros homme, un pauvre sourire aux lèvres. On reconnaissait son état à sa soutane et au livre qu’il tenait à la main – un recueil de prière à n’en pas douter.

 

Le gros homme, le regard las, lui fit signe qu’il ne souhaitait pas son assistance. Les gens trépignaient, criaient des insultes ou de sinistres plaisanteries. Un personnage aussi large que haut, qu’on aurait bien vu tenir une taverne dans un quartier louche, lui lança :

-         Alors, quand vas-tu y passer le cou ?

Mais non loin de lui, un garçonnet s’écria si fort que les gens l’entendirent :

-         Vive le roi !

Des hommes l’entourèrent, indignés, et s’apprêtaient à lui faire un mauvais sort. La mère du bambin, qui n’avait pas dix ans, s’interposa :

-         Pardonnez-lui, citoyens, il est bien jeune et il avait appris à crier « vive le roi » ici-même, le jour du sacre.

-         Eh ! Bien, citoyenne, il n’est jamais trop tôt pour reconnaître les tyrans

Par bonheur pour la femme et son fils, leur attention fut soudain attirée par un roulement de tambours. Un chauve, qui avait sans aucun doute commencé à fêter l’événement dans un bouge, crut bon d’ajouter :

-         On va t’apprendre à honorer Monsieur Véto !

 

Mais les choses en restèrent là. On attendait la mise à mort, et la horde se poussait pour voir et entendre. C’était une invraisemblable bousculade. Les marchandes de poisson empestaient le merlan, d’autres la sueur, on marchait sur les robes trop longues, il n’était plus question de rester à proximité de celle ou celui qui, naguère, vous accompagnaient.

 

*                              *

 

J’étais si absorbé par ce spectacle que je n’entendis pas mon père ouvrir la porte de ma chambre. Il eut un mouvement de recul à la vue du désordre qui y régnait. Je m’étais affalé sur le lit sans prendre soin d’ôter mes vêtements. Ce furent ses cris qui m’éveillèrent :

-         Enfin, Louis ! Tu as perdu la tête !